IN TENEBRIS - Livre II - Chapitre III

Publié le par Beliath d'Eliancourt

es coups sur ma porte me sortirent de ma torpeur.
  – Allons, ma chère, cessez donc de faire la grasse soirée ; j’aimerai vous faire goûter aux joies de Paris, me dit Stéphane d’une voix de petit garçon espiègle.
  Je le fis patientez, le temps de me préparer et de me rendre présentable avant de le voir.
  J’avais mal au crâne. Sûrement un effet secondaire dû à l’absorption du sang de mon hôte. Son sang faisait effet ; je n’avais aucun mal à utiliser les nombreux appareils dont était dotée la salle de bain. Néanmoins, même en cherchant bien, je n’arrivai pas à déceler la moindre information sur le passé de Stéphane, comme j’avais pu le faire auparavant en buvant le sang d’Alexandre. Il avait certainement dosé de façon précise la quantité de sang qu’il m’avait donné afin que je n’apprenne rien de plus que ce qu’il désirait.
  Après avoir séché mes cheveux – qui se placèrent impeccablement autour de mon visage sans avoir eu recours à une coiffure –, j’enfilai une tenue légère composée d’un chemisier dentelé et d’une jupe longue que je trouvai dans l’armoire ; j’y ajoutai un serre-taille pour affiner ma taille. Je soupçonnai Madame Cinot d’avoir apporter des vêtements durant mon sommeil diurne.
  Je chaussai des bottines et ouvris la porte de ma chambre, apercevant Stéphane, adossé contre le mur, les bras croisé sur un costume noir qui lui seyait à merveille. Un bijou rouge sombre bordé d’angent fixé au nœud de sa cravate – de la même teinte – finissait de lui donner une touche à la fois originale et raffinée.
  – Permettez-moi de vous dire que cette robe vous va à ravir, Celia.
  – Flatteur ! Décidément, les hommes n’ont pas changer en quelques siècles.
  – Tant que cela reste sincère, je ne vois pas où est le mal. Ne voyez pas dans mon compliment une quelconque façon de vous courtiser.
  – Je l’espère, car ce n’est pas avec quelques flatteries que vous y parviendrez. Puis-je savoir où nous allons ?
  – Je vous le direz lorsque nous serons en route.
  Nous sortîmes de notre antre souterraine et nous dirigeâmes vers la porte d’entrée. Je croisai Madame Cinot qui me salua poliment et me demanda si les habits qu’elle m’avait apporté durant la journée étaient à mon goût. Je lui répondis que je les trouvais très beau, bien que je ne connaisse pas assez la mode de ce siècle.
  Hector nous attendait déjà devant la voiture. Il nous ouvrit la portière et m’aida à entrer dans le véhicule. La berline démarra, rompant le silence de la nuit parisienne. Nous parcourûmes Paris, observant ses habitants. Même à cette heure tardive, les rues grouillaient de gens. Des touristes, des salariés qui rentraient de leur travail, des troupeaux humains qui attendaient devant les derniers fast-foods ouverts et même un groupe de jeunes plutôt bizarres, qui gesticulaient comme des demeurés sur le rythme d’une musique aux sons électroniques.
  Nous pénétrâmes dans le XVIIe arrondissement. Les guirlandes colorés et les devantures impeccables firent place aux ruelles tout juste éclairées par de faibles lampadaires. L’ambiance y était nettement moins chaleureuse.
  – Où m’emmenez-vous ? demandai-je à Stéphane.
  – Voyez-vous, Celia, les temps ont changé depuis votre disparition du monde des vampires. Nous ne pouvons plus tuer nos proies comme vous l’avez fait la nuit dernière avec cette jeune fille. Les meurtres ne sont plus monnaie courante de nos jours et, bien que certains le refusent, nous devons rester cachés aux yeux des mortels. Pour cela la plupart des vampires ont recours au Mécénat. Nous choisissons un ou plusieurs mortels dont nous nous abreuvons régulièrement sans qu’ils soient en danger.
  – C’est le Concilium qui a imposé cette règle ?   
  – Le Concilium ? s’exclama t-il stupéfait. Ma chère, voilà bien des années que le Concilium n’est plus. Le siècle des Lumières fut un siècle de révoltes, aussi bien pour les mortels que pour les vampires. 
  – Mais alors, qui impose les règles ?
  – Personne. Après la chute du Concilium, les meneurs de la rébellion ont mis en place quelques règles de conduite, mais chacun est libre de les suivre où non. La seule règle qui régis notre race est celle-ci : « Ne mettez jamais en péril la race des Immortels. » Toute personne enfreignant cette unique Loi sera condamnée à un sort peu enviable : la torture pour l’éternité. La Mort leur est interdite.
  – Et donc vous aussi vous avez des… euh…
  – Des Mécènes. Oui, j’en ai. Et je vous emmène dans un lieu où vous pourrez en trouver également.
  – Ces mortels sont-ils au courant de notre existence ?
  – Oui. Mais un lien de sang les unis à nous. Ainsi nous pouvons les faire taire s’il y a un risque de divulgation de notre secret.
  – Un lien de sang… Vous m’aviez dit que les Cinot ne pouvaient pas vous trahir, ça voudrait dire que…
  – Ils furent mes Mécènes auparavant. Mais leur âge avancé, pour un mortel, les rendent impropre à la consommation, si je puis dire. Leur prélever du sang risquerait de les tuer.
  La voiture s’arrêta. Nous étions arrivés. Hector m’aida à sortir de la voiture et je me retrouvai dans une petite rue peu engageante.
  – Par ici, me dit Stéphane en me prenant par la main.
  Nous nous dirigeâmes vers l’entrée une porte en bois encastrée dans le mur d’un immeuble. Le portier nous salua avec diligence et nous pénétrâmes dans ce qui semblait être d’anciennes caves.
  Aussitôt que nous eûmes franchi la porte, un bruit assourdissant me vrilla les oreilles. Un multitude de personnes vêtues de façon fort étrange, principalement de noir, buvait, discutait et dansait aux rythmes – ou non – d’une musique déstructurée, violente et électronique.
  Nous nous frayâmes un passage dans la foule afin d’atteindre, à l’autre bout de la salle, une grand porte en bois, sur laquelle Stéphane frappa à plusieurs reprises. La porte s’ouvrit et nous pénétrèrent dans une pièce annexe qui, une fois la porte fermée, sembla complètement isolée du reste des caves. La pièce, aussi grande que la salle que je venais que quitter, était meublée de chaises et de canapés de style baroque, en ébène, cloutés d’un tissu rouge. Quelques tables basses du même style et des chandeliers dont les nombreuses bougies couleur sang éclairaient les convives, finissaient de donner une ambiance de boudoir vampirique. Un beau cliché pour cette soirée.
  Un homme de grande taille, aux larges épaules, à la chevelure d’encre ondulée, vêtu d’un magnifique deux pièces de velours rouge, s’avança vers nous, un large sourire aux lèvres qui dévoilait ses crocs. Nous étions en présence de vampires.
  – Stéphane ! s’écria l’homme. Ça me fait plaisir de te voir, mon ami !
  – C’est réciproque, Alessandro, répondit mon compagnon.
  Après une longue accolade, l’ami de Stéphane se tourna vers moi.
  – Allons, allons, ça me fait très plaisir de te revoir, Stéphane, mais n’oublions pas la politesse. Présente-moi donc ta charmante amie, que je n’aie pas eu le loisir de voir parmi nous, à moins que ma mémoire n’ait quelques problèmes.
  – Voici Celia. Elle nous vient tout droit d’Italie.
  – Enchanté de vous connaître, Madame, me dit Alessandro en me baisant la main.
    – Mademoiselle, le corrigeai-je en souriant. Il en va également pour moi, Monsieur.
– L’Italie ! s’exclama-t-il. J’en suis originaire moi aussi. D’où venez vous plus exactement ? De Rome ? De Naples ?
  – De Venise.
  – La Cité des Doges ? Une ville magnifique, il est vrai. Magnifique et mystérieuse, comme vous, Mademoiselle.
  – Votre ami, dis-je à Stéphane, aime autant les flatteries que vous ?
  – Ce n’est pas mon ami pour rien, me répondit-il en s’esclaffant.
  Alessandro nous invita à s’asseoir avec lui, sur l’un des moelleux canapés qui trônaient dans la pièce. Alors qu’il discutait avec Stéphane, deux beaux jeunes gens vinrent vers nous. Un garçon et une fille, tous deux blonds comme le blé et aux traits angéliques.
  – Sire, dirent-ils en cœur.
  Je compris qu’ils étaient les Mécènes de Stéphane. Quels beaux enfants que voilà !
  Il prit la fille et lui ouvrit le poignet qu’elle lui tendait dévotement, laissant son sang se déverser dans un verre en cristal que tenait ce qui semblait être son frère.
  – Goûtez-le, me dit Stéphane en me donnant le verre. Son sang est particulièrement sucré. Cette jeune femme est un délice, aussi bien pour le palais que pour les yeux.
  Je portai la coupe à mes lèvres et bus délicatement, à petite gorgée, le précieux breuvage vital.
  – Succulent en effet, fis-je. Vous avez là une merveilleuse Mécène.
  – Et quand est-il du votre Mademoiselle ? me demanda Alessandro.
  – Je n’en ai pas pour l’instant, répondis-je.
  – C’est d’ailleurs pour cette raison que je viens te voir, mon brave, dit Stéphane. Tu es le meilleur chasseur de Mécènes que je connaisse et je voulais savoir si tu aurais quelques bons candidats à ce poste.
  – Ma foi, je suis honoré de la confiance que tu me portes. Je ne pense pas en trouver de bons dans la soirée qui se déroule à côté, mais j’organise un défilé pour présenter ma nouvelle gamme de vêtements, samedi prochain. Tous mes mannequins sont de futures Mécènes. Vous pourrez passer y faire un tour et, si Mademoiselle le désire, elle pourra choisir l’un de mes mannequins comme Mécène.
  – Ce serait en effet une très bonne idée, dis-je, heureuse.
  – Et bien voilà qui est conclu ! Un instant, je vais vous donner l’adresse du lieu du défilé.
  Le reste de la soirée se passa sans accrocs. La discussion prit fin et l’on entama les festivités. La plupart des bougies furent éteintes afin de plonger la pièce dans un ambiance plus propice à ce moment à la fois carnassier, poétique et sensuel. Les deux beaux Mécènes de Stéphane s’adonnèrent à nous, offrant leurs corps aux Dieux des Ténèbres que nous étions. Je savourai ce met délicat qu’était leur sang, plantant mes crocs dans leurs bras, leurs poitrines, leurs cuisses et leurs cous. Leur chair rose succomba sous l’étreinte brûlante de mes baisers. Un pur moment d’extase, qui cessa bien vite à mon goût, l’impératif de laisser les mortels en vie étant la règle d’or.
  Stéphane donna à chacun de ses Mécènes un verre de son propre sang, afin que ceux-ci soigne immédiatement leurs blessures. Ce don sanglant, m’expliqua Stéphane, avait aussi pour effet de rendre les mortels jeunes et forts, même si cela ne durait que quelques années et non pas l’éternité, comme pour nous autres vampires.
  Alessandro nous informa que le soleil se lèvera dans moins de deux heures et qu’il serait plus prudent de partir dès maintenant. Nous prîmes donc le chemin de la sortie, serpentant entre les mortels à moitié ivres qui zigzaguaient dans les caves.
  – Alors, comment avez-vous trouvé cette soirée ? me demanda Stéphane en me tenant la porte d’entrée, le portier s’étant manifestement endormi.
  – C’était vraiment sympathi… Attention ! hurlai-je.
  Un homme s’était élancé, épée au poing, vers nous.
  – Le Traître doit mourir ! beugla t-il.
  Stéphane me poussa sur le côté pour me protéger et reçu un coup dans l’épaule, poussant un terrible hurlement qui résonna dans la rue. L’assaillant attaqua de nouveau, prenant la poignée à deux main et la faisant tournoyer autour de sa tête. Le vampire attrapa les poignets de l’homme et retourna l’arme contre son possesseur, lui arrachant la cage thoracique. Je ne l’avais jamais vu autant en colère. Il était possédé par la même entité bestiale qui avait fait surface cette triste nuit où mon aimée, ma tendre Adeline, avait rendu l’âme.
  L’homme, à l’allure de clochard avec ses cheveux et sa barbe hirsutes, s’écroula contre terre dans un dernier râle. Je restai là, paralysée par la peur. Stéphane était penché sur le cadavre.
  – L’Ordo Patronorum, souffla t-il. Ça faisait longtemps…

Publié dans Oeuvres personnelles

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