IN TENEBRIS - Livre I - Chapitre VIII

Publié le par Beliath d'Eliancourt


l ne me restait plus qu’une nuit ; une nuit pour profiter de la compagnie d’Adeline et lui enseigner ce qu’elle devait savoir sur sa condition pour survivre dans ce monde. Je me doutais bien qu’aucun vampire n’apporterait son aide à l’Enfant d’une renégate.
  Elle n’était au courant de rien. Je ne lui avais rien dit sur la conversation qu’Alexandre et moi-même avions eu plusieurs heures auparavant.
  Demain soir, lorsque la nuit aura totalement recouverte la Cité des Doges, je devrai partir affronter la Mort. Qui eut cru que mon Eternité serait si courte ? Quoi qu’il en soit, j’acceptai mon destin et je me remis en tête ma priorité du moment : apprendre l’art de la chasse à mon Enfant.
  Je m’écartai délicatement d’Adeline, qui était toujours blottie dans mes bras.
  – Habillons-nous, dis-je. Votre éducation en tant que vampire commence présentement.
  – Ne pouvons nous pas reporter ma leçon à demain ?
  Ô comme j’aimerai pouvoir le faire. Hélas, les conditions actuelles ne me le permettent pas.
  – Non, Adeline. Maintenant, répondis-je sèchement.
  Nous nous vêtîmes de chaudement, afin de supporter au mieux la froideur de la nuit. Bien que nous ne risquions pas de tomber malades puisque nous étions mortes, le sang vampirique qui coulait en nous avait décuplé nos sens. Le froid comme le chaud étaient à présent ressentis d’une façon nouvelle, exacerbée.
  Nous escaladâmes l’immeuble jusqu’au toit et de là, contemplâmes la beauté de la nuit.
  – C’est merveilleux ! s’exclama Adeline. Tout semble vivant autour de moi ! Et regarde avec qu’elle faciliter de me déplace !
  Elle exécuta une série de sauts périlleux dans des postures humainement impossible.
  – Et cela, ma chère, n’est qu’un des nombreux pouvoirs de votre  nouvelle nature. Nous pouvons aussi voler ou encore lire dans les pensées, lui expliquai-je.
  – Fantastique !
  – Oui. Mais tous ces pouvoirs dépendent du sang. Notre existence même en dépend. Nous devons nous nourrir de sang afin d’être au mieux de notre forme.
  – Les vieilles légendes en parle… mais sommes nous obliger de nous en nourrir abondamment ? Je veux dire, sommes-nous obligées d’ôter la vie à un être vivant en lui prenant du sang ?
Sa voix tremblait. Elle avait peur. Tuer pour la première fois n’était certes pas chose aisée.
  – Hélas, oui, répondis-je, navrée. Nous avons besoin d’ingérer une énorme quantité de sang. Une quantité tellement importante qu’il est presque impossible à la victime d’en réchapper. Mais n’ayez crainte, vous vous y habituerez.
  – Ne pouvons nous nous nourrir d’autre chose ?
  – Non. Le sang vampirique à changer notre organisme et nous ne pouvons plus digérer ce que nous avalons.
  Elle était angoissée. Je le ressentais au fond de moi. Nous étions liées l’une à l’autre.
  – Venez, lui dis-je.
  Nous sautâmes de toits en toits, courant tellement rapidement que nos pieds frôlaient tout juste les tuiles.
  Venise était notre prairie pour cette nuit. Et toutes les âmes mortelles qui dormaient sous nos pieds ou batifolaient dans les tavernes étaient notre bétail.
  Je comprenais aisément l’angoisse qui saisissait Adeline. J’avais moi-même eu du mal à me faire à l’idée que je devais prendre une vie pour que je puisse « vivre », si tant que je puisse considérer mon existence comme étant une forme de vie. Pardonnez-moi, mais la langue française ne possède aucun mot pouvant qualifier l’état des vampires. Sûrement parce que les dictionnaires furent écrits par des personnes bien vivantes.
  Cet acte, tuer, était horrifiant mais nécessaire. Et je le sus bien vite. J’étais dans le même état de trouble qu’Adeline lors de ma première nuit en temps qu’Enfant des Ténèbres. Mais lorsque le sang coula dans ma gorge, ce trouble s’annihila définitivement.
  Comment décrire les sensations dû à l’absorption de sang ? Pour vous autres mortels, le sang à un goût, disons, métallique. Pour ma race, c’est différent. Le sang à un parfum doux et sucré lorsqu’il titille le palais. Un délice ! Et cette sensation change selon l’individu. C’est pour cela que les mythes rapportent que nous raffolons des vierges. Leur sang est le plus pur, car il n’est pas souillé. Celui des drogués et des malfrats est tout aussi délicieux. Un sentiment d’euphorie et de puissance nous embaumes lorsque leur liquide vital emplit chacune de nos veines et réchauffe notre corps.
  Mais le plus merveilleux était sans aucune doute le profond sentiment de paix qui suivait notre repas. La Paix, tellement palpable qu’elle éclipsait de notre conscience l’horrible crime que nous avions précédemment commis. Nous n’obtenons la paix que dans le crime. Le meurtre est la libération et le fardeau des vampires… et il sera bientôt celui d’Adeline.
  Nous étions arrivées au dessus d’une ruelle où s’entassaient quelques tavernes et bordels.
  Ici, les gens étaient souvent ivres et il serait donc facile pour Adeline d’attraper une proie.
  – Regardez en bas, dis-je à mon élève.
  Un ivrogne, vraiment éméché, essayait de soulever la jupe d’une catin qui était, à l’odeur de rhum qui émanait d’elle, aussi ivre que son compagnon.
  Je sautai du toit et atterris sans un bruit à quelques pas du couple. Adeline me rejoignit.
  Mis à part nous et le couple, la ruelle était déserte. Les bruits provenant de la taverne voisine seraient assez puissants pour couvrir les râles d’agonie de nos proies.
  – Adeline, chargez-vous de la fille, je m’occupe de l’homme.
  – Bien, Ma Celia chérie !
  Nous nous avançâmes vers le couple de façon peu discrète afin que celui-ci nous repère.
  – Bordel de p’tain de Dieu ! Ma foi, mes d’moiselles, vous êtes bien bonnes ! Moi, j’vais vous envoyer au septième ciel avec mon crotale ! beugla l’homme en se tripotant les parties génitales, qui dépassaient déjà de ses braies.
  Moche, porté sur la bouteille, et d’une vulgarité sans bornes. Voilà donc pourquoi ce gueux devait recourir aux filles de petites vertus pour combler ses appétits sexuels.
  Je le pris dans mes bras et le serrai contre ma poitrine.
  – Je n’en doute pas bel étalon, lui dis-je avec une œillade. Moi aussi je vais t’envoyer au Ciel.
  – Ouais ! balança t-il, le regard fixé sur mon décolleté.
  Je l’embrassai vigoureusement, essayant de ne pas vomir de dégoût au contact de ses lèvres.
  Puis je fis descendre mon baiser jusqu’à sa gorge, où la jugulaire, gonflée de sang, m’appelait tel le Fruit de la Connaissance qu’Eve regardait avec tant d’envie. Les crocs percèrent la chair et le sang me remplit la bouche.
  L’ivrogne succomba sans un râle, la tête affaler sur ma poitrine.
  – Désolé, je ne pense pas que nous parlions du même Ciel, vous et moi, soufflai-je au cadavre.
  Je relâchai le corps et me tournai vers Adeline et la catin afin de voir comment elle se débrouillait
  Ma compagne nocturne buvait doucement le sang de sa proie, qui gémissait… de plaisir !
  Je remarquai qu’Adeline avait passer sa main sous la jupe de la fille. J’étais exaspérée. Décidément, le Don Obscur n’avait pas amoindri sa perversité, loin de là.
  Un bruit mat m’indiqua que mon Enfant avait fini de jouer avec sa proie et était repue.
  – Ah que c’est bon ! s’exclama t-elle avec l’air d’une petite fille gourmande.
  « Parle pour toi » me dis-je intérieurement.
  Nous repartîmes vers notre demeure, emmenant les corps avec nous afin de les jeter dans la Grand Canal.
  – Tout compte fait, c’était bien plus facile que je ne l’eus pensé, me déclara Adeline lorsque nous étions revenues dans son appartement.
  – Oui, et maintenant, comment te sens-tu ?
  – En paix et heureuse, pour je ne sais quelle raison.
  Et j’espérais de tout cœur quelle le resterai le plus longtemps possible. J’aimais la voir heureuse, et je savourais ce moment avec encore plus d’intensité qu’auparavant. Car demain soir, je ne pourrais plus jamais la revoir. A cette terrible idée, je la serrai contre moi le plus fort que je pouvais et je ne pus retenir plus longtemps mes larmes.
  En fait, la Mort n’est pas si effrayante que cela. C’est le fait d’abandonner ceux qu’on aime qui est le plus difficile à accepter.
  – Pourquoi pleures-tu ? me demanda t-elle.
  Je ne lui répondit pas ; « Heureux est celui qui vit dans l’ignorance… ». D’un côté cette maxime chrétienne n’est pas si fausse qu’elle en a l’air. C’est simplement la forme archaïque pour dire « Ce que l’on ignore ne peut faire de tort ».

  Adeline dormait encore profondément lorsque je partis pour le nord de Venise, là où l’existence de Catherine, la défunte Enfant d’Alexandre, avait prit fin.
  J’avais déposé un petit mot à son attention, avant de m’en aller pour la Mort :

  « Ma chère et tendre Adeline,

Je te remercie pour tout ce que tu m’as donné et je sais que jamais je ne pourrais t’être redevable. 
Je damnerai mon âme pour rester ne serait-ce qu’une nuit avec toi, sache le bien, mais je dois te laisser, hélas, car mon destin m’appelle.
Tu resteras dans mon cœur pour l’éternité.


Ton aimée, qui te chérira jusque dans la Mort,


                                                                                                                   Celia. 10 janvier 1788 »


 Si peu de mots pour lui dire à quel point je l’aimais. J’étais honteuse de ne pas lui avoir écrit un lettre digne de ce nom. Mais le cœur n’y était plus.
  Armée d’une épée volée chez un armurier, je parcourus l’étendue de maison qui me séparait de la clairière où le duel entre Alexandre et moi allait se dérouler.
  J’étais certaine de périr lors de cet affrontement et pourtant je ferais de mon mieux pour faire souffrir le plus possible Alexandre. Car ce n’était pas pour moi qui je me battrai, mais pour Adeline.
  A la lueur de la lune je pouvais déjà les apercevoir. A côté du bûcher, mon adversaire attendait, fièrement appuyé sur la pommeau de son épée. Epée qui d’ailleurs, était bien plus robuste que la mienne. C’était une lame archaïque et solide, comme seuls les anciens forgerons savaient les faire. Une relique du temps où Alexandre était encore un seigneur mortel. 
  A quelques mètres derrière lui étaient postés quatres vampires du Concilium qui serviraient de témoins.   J’atterris en douceur et laissai tomber ma cape à mes pieds, révélant ma lame mortelle.
  – Je suppose que si tu te présentes à moi ainsi armée, c’est que ta protégée est encore de ce monde, n’est-ce pas ? me demanda Alexandre
  – En effet, lui répondis-je. Et je jure sur mon âme et mon honneur que temps que je n’aurais pas rejoins Hadès, elle le restera !
  – Si tu le dis, ma belle Enfant.
  – Je ne suis l’Enfant de personne désormais ! éructais-je.
  – Ca, c’est à moi de le décider ! hurla Alexandre, le visage déformé par la colère.
  Nos lames s’entrechoquèrent tellement violemment que nous fîmes projetés à plusieurs mètres l’un de l’autre.
  Je me relevai d’un bond et repartis à l’assaut.
  Un trio de corbeaux planaient dans le ciel, décrivant un  cercle parfait au dessus de nous puis se posèrent dans les arbres environnant et poussèrent de longs croassement . Ils sentaient la divine odeur de la viande. Du haut de branches, ces funestes oiseaux noirs étaient les spectateurs privilégiés du ballet macabre qui se déroulait en dessous d’eux. Nous étions des acrobates dansant sous la Déesse-Lune en formant des figure esthétiques avec nos lames. Qui eu cru qu’une telle violence put engendrer une telle grâce ?
  Je ne sais combien de temps nous luttâmes ainsi, Alexandre et moi. Il me semblait que cela faisait une éternité, car je sentis mes forces faiblir.
  Il était trop rapide et, de son temps, l’art de la guerre était enseigné à tous les fils de seigneurs tel que lui.
  D’une balayette, je m’écrasai contre le sol, épuisée.
  – C’est donc ainsi que tu meurs, Celia ? lança t-il d’un air moqueur. J’aurais cru que tu aurais plus de vaillance, que la vision de ta compagne brûlée sur le bûcher comme le fut Catherine t’aurais rendu plus forte, ou du moins t’aurais donné la force du désespoir.
  D’un coup de pied, il fit voler mon épée au loin. Puis il se pencha pour me souffler :
  – Je me ferai un plaisir d’allumer moi même le brasier qui consumera Adeline.
  Folle de rage, je tentai de me relever, mais un coup de botte d’en la figure me remis tête contre terre. Du sang s’écoula de la bouche et de mon nez, rendant le sol boueux.
  Je vis le bras d’Alexandre se lever, près à abattre sa lame contre ma gorge. Je ferma les yeux. J’avais peur. Celui qui dit ne pas avoir peur de mourir est un idiot fini, un sacré menteur et un frimeur. Même moi, qui savait que la Mort n’était rien d’autre que le néant, j’étais effrayée. Car qu’est-ce que le néant, si une marrée de ténèbres où nous n’éprouvons plus rien ; plus de souffrances, plus d’amertume, plus de mélancolie, mais aussi plus de joie, d’amour, le simple bonheur de parcourir les étendues de ce monde-ci. A bien y réfléchir, voilà qui est le plus effrayant dans le Mort : ne plus ressentir !
  Le bruit de l’acier sifflant dans le vent. Un bruit de chair déchirée. Un hurlement de rage.
  Je rouvris les yeux. J’étais maculée de sang. mais ce n’étais pas le mien. C’était celui du corps tranché en deux qui était sur moi, de la personne qui avait protégé ma gorge de la lame meurtrière.
  Je mis un certain temps avant de reprendre mes esprits. Que c’était-il donc passé ? A qui était ce corps ? Je ne le sus que trop vite. A quelques pas de moi gisait le reste du cadavre. Une chevelure rousse recouvrait le visage de la demoiselle sacrifiée. Une lettre taché de sang était toujours étreinte par ses doigts. Ses yeux, d’un vert éblouissant, étaient écarquillés, comme si la défunte avait été frappée d’une vision d’horreur avant de mourir.
Adeline ! C’était son sang qui tachait ma tunique et se yeux qui me fixait avec tant d’effroi.
  Je réagis au quart de tour. D’un bond je sautai au dessus d’Alexandre. Tout semblait figé autour de moi. Je saisis son arme et d’un coup sec, je le décapitai. La scène défila au ralentit. Je peux encore apercevoir cette vision à la fois horrifique et délicieuse : l’acier pénétrant la chair, sectionnant les tendons et les veines, puis tranchant l’os, avant de ressortir par l’autre extrémité du cou. La tête d’Alexandre roula à mes pieds.
Je fis subir le même sort aux autres vampires.
  Je n’arrivais plus à me contrôler. Ce n’était pas moi qui guidait ma lame, qui fendait ces corps en deux. C’était ce que certain appelle le Dragon, la Bête ou l’Ombre ; la part de bestialité primaire que renferme chaque être en son sein. Mais chez les vampires, cette entité primitive était bien plus monstrueuse. Elle voulait du sang, encore, toujours. Elle n’en avait jamais assez ! Voilà donc la véritable essence de notre race. Voilà ce qui rendait Alexandre si hideux lorsqu’il était énervé.
  Je réduisis le corps du vampire en bouilli de chair, frappant sans relâche le corps inerte de mon adversaire ! Les témoins voulurent m’empêcher de continuer, arguant que cela n’étaient pas réglementaire. Sans même réfléchir – mais y pouvais vraiment dans l’état où j’étais ? – Je m’attaqua à eux. Sans armes, ils ne firent pas long feu et rejoignirent mon ancien Maître dans l’au-delà.
  Je mis le feu aux corps. Et vint le tour d’Adeline. A la vue de son corps mutilé, de ses yeux écarquillés, je repris d’un coup mes esprits et me rendis compte de l’horreur de ma situation. J’avais tué mon maître et perdu ma seule raison de vivre, la personne pour qui j’avais combattu, Adeline.
  La tête me tournait. J’allais devenir folle.
  J’errais dans la forêt, telle une coquille sans âme, m’aidant de l’épée de feu Alexandre pour marcher.
  Je fus prise de vertige. Adeline, morte. Son visage. Son sang. Ses yeux !
  Je m’écroulai. Je souhaitai ardemment la Mort. Je restai immobile, dans cette forêt, durant plusieurs saisons, la tête totalement vide. Les fouilles, touffues, empêchèrent le soleil e faire son œuvre. Lorsqu’elles tombèrent à l’automne, elle me recouvrirent puis vint la boue dès l’hiver. Ma soif grandit, mais je ne voulais plus boire de sang, je voulais rejoindre le néant.
  Je sombrai dans un sommeil sans rêves qui, je l’espérai, m’emmènerait dans la Vallée des Ombres.


                                                                                         FIN DU LIVRE PREMIER


AVERTISSEMENT : Ce texte est la propriété exclusive de son auteur, Beliath d'Eliancourt. Au regard de l'article L. 122-4 du Code de la Propriété Intellectuelle, toute copie, intégrale ou partielle de ce texte sans l'accord de l'auteur et ayant-droit est formellement interdite.

Publié dans Oeuvres personnelles

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