IN TENEBRIS - Livre I - Chapitre III

Publié le par Beliath d'Eliancourt

n rayon de soleil filtra à travers les rideaux qui couvraient la fenêtre de la chambre – la seule de l’appartement – et me réveilla en douceur. Il faisait déjà jour dehors.
  Mes yeux se posèrent sur Adeline. Ainsi endormie, elle semblait encore plus angélique et innocente. Elle avait passé son bras autour de ma taille pendant la nuit et me serrait contre elle, comme une amante.
  Je le fis glisser pour me dégager de sa tendre étreinte et je me levai du lit.
  « Venise doit être magnifique vue d’ici » me dis-je.
  Je m’avançai vers l’unique fenêtre de l’appartement et tirai légèrement le rideau pour y contempler le spectacle qui s’offrait à mes yeux. Le soleil naissant baignait la ville d’une teinte rosée, faisant resplendir les eaux qui la parcouraient. Au loin, je pouvais apercevoir les voûtes gothiques du Palais des Doges et les coupoles de la basilique Saint-Marc. Il était dit à cette époque que Venise était la plus belle des villes d’Occident. Je pouvais aisément affirmer la véracité de cette rumeur.
  Des mains me prirent doucement par la taille. Adeline s’était glissée derrière moi sans que je m’en rende compte.
  – Que fais-tu ma chérie ? me demanda t-elle.
  – Je contemple la ville. Elle est si belle…
  Je fus parcourue d’un frisson. Adeline me donnait de petits baisers dans le cou. Son étreinte et ses caresses s’étaient faites plus insistantes. Cette proximité charnelle me procurait un sentiment paradoxal. J’étais à la fois intimidée et même choquée par son comportement pour le moins indécent ; je voulais m’échapper de ses bras, mais j’avais envie d’y rester, envie de sentir ses lèvres humides contre la peau, envie de sentir ses mains parcourir mon corps, envie de ressentir son amour.
  Nous étions sûrement pécheresses à ce moment. Le Paradis pouvait mettre interdit, je n’en avais cure, car j’étais déjà au Paradis. Et Adeline était mon Séraphin.
  A ses côtés j’appris ce qu’était véritablement l’amour. J’appris aussi les diverses compétences que devait posséder une bonne courtisane. Mon instruction dura de très nombreuses semaines. Mon quotidien était régi par des cours d’italien, de français, de danse et de musique. Je pris connaissance des règles de courtoisies prisées de la bonne société. Il ne manquait plus qu’à mettre mes nouvelles compétences en pratique. Ce jour vint au milieu de l’automne.

  La nouvelle courait qu’un notable français, ami de la famille patricienne Leone, venait d’arriver en ville il y avait cela quelques jours. Pour fêter l’événement, les Leone, l’une des plus anciennes lignées patriciennes de Venise, avaient décidé d’organiser un grand bal en l’honneur de leur invité et ami, Alexandre de Chartres.
  Adeline et moi fûmes conviées à la soirée. Elle avait des contacts influents parmi ses clients, qui pouvaient aisément la faire rentrer dans n’importe quel lieu de la ville.
  Le soir de l’événement, nous nous préparâmes. Adeline était magnifiquement vêtue. Un corset de satin pourpre lui enserrait la taille et faisait ressortir la perfection de ses formes tandis qu’une longue jupe en dentelles, tout aussi pourpre que son haut, couvrait ses jambes chaussées de bottes. Ses cheveux avaient été attachés en arrière, laissant quelques mèches encadrer son doux visage diaphane. Je me sentais un peu diminuer face à elle, avec mon corset rouge et ma simple jupe en mousseline.
  Lorsque nous fûmes prêtes, nous descendîmes de l’immeuble et nous nous installâmes dans une barque que nous avait fait venir un des clients d’Adeline, un certain Alfonso Carni. Il nous tendit la main afin de nous aider à enjamber le rebord de l’embarcation. Je m’assis à côté de ma belle amante, pensant que sa proximité me protégerait de ce vieil homme, dont les cheveux blancs couvraient partiellement son crâne dégarni.
  – Ma chère amie, qui est donc cette délicieuse enfant qui vous accompagne ? demanda Alphonso.
  – Ma sœur, Célia, mentit Adeline. Elle vient me rendre une petite visite et je lui fais découvrir la vie vénitienne.
  Le vieil homme se leva, prit ma main et la baisa : « Enchanté de faire votre connaissance, mademoiselle. »
  – Moi de même, mentis-je.
  Son contact me répugnait. Je fus soulagée lorsqu’il retira ses affreuses lèvres craquelées de ma main. J’essuyai discrètement ma main contre la jupe, comme si ce baiser détestable pouvait me donner la peste.
  Personne ne parla durant la traversée. Les seuls sons audibles étaient les cris des mouettes et le bruit des rames fouettant l’eau, créant des vagues écumeuses. La nuit était tombée. La lune faisait miroiter son reflet d’argent sur la surface à présent noire du Grand Canal. Même dans les ténèbres nocturnes, la Cité des Doges était belle. Les façades sombres des maisons nous entouraient, comme un décor d’ombres chinoises. Une seule maison sortait du lot. Une immense demeure entourée de lampions et de lanternes. Des ombres étaient agglutinées devant, attendant de pouvoir rentrer dans la maison.
  Arrivé près du quai, le valet d’Alphonso sauta de la barque et l’attacha solidement au ponton. Nous sortîmes de notre embarcation et nous nous joignîmes aux autres invités, tous de grandes familles selon les dires d’Adeline.
  – Voici la maison de Roméo Leone, l’un des membres les plus influents du Grand Conseil et conseiller du Doge, me souffla ma belle amie. Je peux t’assurer que quand il est question de fête, il est le plus doué. Les festivités qu’il organise sont d’une telle splendeur ! 
  – Ce doit être vraiment magnifique ! m’exclamai-je. 
  – Oui… mais fait attention. Ces gens ont beaux faire parties de la bonne société, tu ne trouveras pas de galant gentilhomme ici.
  – Pourquoi donc ? lui demandai-je. Sont-ils si grossiers ?
  – Grossiers, sots et vicieux. Ne leur accorde aucune confiance. 
  J’entends bien.
  Ces paroles avaient refroidi mon enthousiasme, mais le sourire d’Adeline me rassura plus qu’il ne le fallut.
  Au même instant un soupir d’aise parcouru l’assemblée. Le maître de maison venait d’ouvrir les portes de sa demeure. La bal pouvait commencer !


AVERTISSEMENT : Ce texte est la propriété exclusive de son auteur, Beliath d'Eliancourt. Au regard de l'article L. 122-4 du Code de la Propriété Intellectuelle, toute copie, intégrale ou partielle de ce texte sans l'accord de l'auteur et ayant-droit est formellement interdite.

 

Publié dans Oeuvres personnelles

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